« Ce n’est pas exagérer que de dire que ce choc énergétique de 2022 est comparable en intensité, en brutalité, au choc pétrolier de 1973. » Les mots de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, en mars 2022 résonnent encore plus fortement cet été. Pour faire face à la hausse des coûts de l’énergie, Emmanuel Macron a prévu le déploiement d’un plan de « sobriété énergétique » et la Première ministre Élisabeth Borne a quant à elle appelé à « l’exemplarité » des administrations publiques en termes d’économies d’énergie.
Mais cet appel à une consommation réduite n’est pas nouveau. Dans les années 1970, la France et ses voisins européens avaient mené une « chasse au gaspi » et pris des mesures restrictives pour économiser du pétrole, dont le prix s’envolait du fait du choc pétrolier de 1973.
Réduire la vitesse sur l’autoroute, diminuer son chauffage ou sa climatisation… Les Français sont-ils prêts à changer leurs habitudes à nouveau ? Nous avons posé la question à Anaïs Rocci, sociologue à l’Ademe, un organisme rattaché au ministère de la Transition écologique. Elle travaille sur l’évolution des comportements des Français face au réchauffement climatique, et publie chaque année un baromètre sur cette question.
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Réduire la vitesse à 110 km/h sur l’autoroute
Dans un décret de 1973, le gouvernement de Pierre Messmer décide de limiter la vitesse sur les routes de France, avec une réduction à 120 km/h au lieu de 130. La vitesse sur les autres routes est aussi ramenée à 90 km/h. Cinquante ans plus tard, les Français sont-ils prêts à aller plus loin ?
« La majorité de la population est contre la réduction de la vitesse sur les autoroutes de 130 à 110 km/h, répond Anaïs Rocci. En 2021, seulement 42 % des Français étaient pour cette idée. C’est une question très liée à l’actualité. Au moment des gilets jaunes, le taux d’approbation était tombé à 37 % », détaille la sociologue.
Alors pourquoi ce blocage ? « Peut-être que les gens se sentiraient limité dans leur conduite », tente d’expliquer Anaïs Rocci. « Ils ont l’impression que ça va leur faire perdre du temps, alors que pas tant que ça. » Réduire sa vitesse permet aussi d’économiser du carburant. « Si on explique aux gens à quoi ça sert, ils comprendront », assure-t-elle.
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Les politiques ont néanmoins bien compris ce refus de l’opinion. Emmanuel Macron avait rejeté la réduction de la vitesse sur l’autoroute à 110 km/h, une mesure proposée par la Convention citoyenne pour le climat, en 2020. Élisabeth Borne, alors ministre de la Transition écologique, se disait pourtant favorable à cette mesure, « à titre personnel ».
Baisser le chauffage et la climatisation
En 1974, un autre décret instaure une limitation du chauffage à 22 °C maximum dans tous les bâtiments en dehors des habitations. Cinq ans plus tard, la température maximale autorisée pour se chauffer est encore réduite, à 19 °C. Une vaste campagne de communication baptisée la « chasse au gaspi » est menée en parallèle. Elle incitait les Français à lutter contre le gaspillage énergétique.
Un demi-siècle après, le gouvernement français craint un possible manque de gaz et d’électricité cet hiver et appelle d’ores et déjà à la sobriété. Les Français sont-ils à nouveau prêts à faire de petits gestes pour économiser de l’énergie ? « Ils font déjà beaucoup d’efforts, observe Anaïs Rocci. On observe une accélération sur l’engagement individuel, sur les écogestes, qui augmente très fortement ces dernières années, notamment en 2020 et 2021. »
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Grâce aux enquêtes menées par l’Ademe, la sociologue explique que « 62 % des Français déclarent éteindre les appareils électriques qui restent en veille et 70 % d’entre eux baissent la température de son logement de 2 ou 3 degrés l’hiver et limitent la climatisation à 26 degrés en été. » Trois quarts des personnes interrogées indiquent également couper le chauffage en cas de longue absence.
« On peut toujours réduire un peu plus, avance Anaïs Rocci. Mais il faut que ça se fasse au niveau collectif. On ne peut pas dire aux gens de réduire leur clim et leur chauffage, si à côté de ça on laisse tous les bureaux, les panneaux publicitaires et les magasins allumés toute la nuit. Il y a une question de cohérence. »
Le gouvernement souhaite ainsi contraindre les magasins climatisés à ne pas laisser leurs portes ouvertes en laissant échapper l’air frais et généraliser l’interdiction des publicités lumineuses la nuit.
Privilégier le vélo à la voiture
En 1973, le choc pétrolier, qui a touché toute l’Europe, a poussé des pays comme les Pays-Bas, le Danemark, la Suisse et la République Fédérale d’Allemagne a instauré des « dimanches sans voiture ». Les automobilistes de ces pays pouvaient prendre le volant sauf le dimanche. Si la mesure n’a pas été appliquée en France, la mobilité fait aussi partie des domaines où des économies sont possibles.
Selon les chiffres de l’Ademe, l’abandon de la voiture individuelle reste néanmoins plus difficile à envisager pour les Français. « Sur les mobilités, les gens déclarent qu’ils pourront difficilement changer parce qu’il n’y a pas d’infrastructures. On a beau demander aux gens de changer leurs pratiques, si les alternatives ne sont pas offertes derrière, ça va être difficile », raisonne Anaïs Rocci. 40 % des personnes interrogées déclarent toutefois privilégier les déplacements à pied ou à vélo, plutôt qu’en voiture, 34 % pour les déplacements en transports en commun.
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La sociologue note par ailleurs que la population adhère de plus en plus à une hausse des taxes climatiques pour les véhicules polluants ou une taxe carbone. « Depuis 2020, il y a une très forte augmentation de l’adhésion à ces mesures fiscales. Les gens sont prêts à prendre ce type de mesure, à condition que ça ne pénalise pas le pouvoir d’achat des plus modestes et que cet argent soit remis dans la lutte contre le réchauffement climatique », explique Anaïs Rocci, qui note une adhésion « toute catégorie sociale confondue ».
Taxer le transport aérien pour favoriser le train est aussi une idée majoritairement acceptée.
Les Français prêts à des efforts, s’ils sont justement répartis
« Les Français ont vraiment pris conscience du réchauffement climatique et de la nécessité de changer de mode de vie », abonde la chercheuse. 58 % affirment qu’il faudra modifier de façon importante nos modes de vie, d’après l’enquête de l’Ademe.
Pour la sociologue, « il y a une tendance à tout remettre sur la responsabilité individuelle. Mais les Français agissent déjà beaucoup pour consommer moins, choisir des produits avec peu d’emballages, limiter sa consommation de viande. » Des pratiques de plus en plus répandues au fil des années selon l’Ademe.
« Les Français ont conscience qu’il faudra des mesures fortes, et ils sont prêts à les accepter, à condition que ça soit partagé de manière juste. Il faut aussi davantage expliquer les gains collectifs et individuels. Ce besoin d’équité et de transparence est fondamental. »
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