« Solidarité européenne » et « sobriété » : depuis plusieurs semaines, président de la République et ministres multiplient les sorties médiatiques pour rappeler aux Français l’alpha et l’oméga de leur politique de gestion de la crise énergétique.
« Solidarité européenne » d’abord, pour espérer verdir et transformer les infrastructures énergétiques à grande échelle rapidement. « Sobriété » ensuite, car, comme l’a rappelé Agnès Pannier-Runacher mercredi 14 septembre, aujourd’hui « chaque geste compte » pour éviter des « mesures contraignantes » à l’échelle nationale, notamment des coupures, lors de cet hiver qui « s’annonce tendu ».
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Mais quels sont ces gestes qui comptent ? Et quel est leur véritable impact sur la consommation d’énergie ? Si, a priori, « éteindre sa box » ou « baisser son chauffage » apparaissent en effet comme des gestes anodins, voire inutiles, leurs effets, à l’échelle nationale, sont en réalité colossaux.
Des mesures « activables rapidement »
Selon un rapport de l’association négaWatt publié mardi 27 septembre, l’ensemble des petits gestes mobilisables « dans différents secteurs » permettraient, à eux seuls, de réduire notre consommation globale d’énergie d’au moins 10 % d’ici deux ans. Sont concernés par les propositions de l’association les secteurs résidentiel, tertiaire et les transports.
« On a ciblé dans le contexte de crise énergétique des mesures de sobriété activables rapidement », explique Yves Marignac, consultant sur le nucléaire et la transition énergétique au sein de l’association, dans les colonnes de Franceinfo .
Et le jeu en vaut la chandelle. Selon l’association, les cinquante mesures de sobriété présentées permettraient à court terme d’économiser 13 % de la consommation française cumulée de gaz, d’électricité et de pétrole. L’accent est principalement mis sur le gaz (-20 %) et l’électricité (-17 %), soit pour cette dernière l’équivalent de la production… de 12 réacteurs nucléaires.
À moyen terme, c’est-à-dire à horizon deux ans, la France pourrait même « entièrement prendre sa part dans l’objectif européen de réduire de 15 % la consommation de gaz, en allant même au-delà ».
Les économies d’énergie dans le secteur résidentiel
Mais regardons ça de plus près, en commençant par le secteur résidentiel. En France, ce secteur représente pas moins de 30 % de la consommation d’énergie globale du pays, soit 450 000 GWh. Sur ces 450 000 GWh, 162 000 sont consacrés à l’électricité : c’est l’équivalent de la consommation annuelle de 21 600 Tour Eiffel !
À ces données (qui donnent déjà le tournis) s’en ajoute une autre toute aussi impressionnante : selon négaWatt, pas moins de 30 % des consommations d’énergie de ce secteur (30 % pour le gaz, 36 % pour le fioul, 28 % pour l’électricité) pourraient en réalité être réduites grâce, notamment, aux gestes « du quotidien » qui limitent le gaspillage. Tout dépend « de la capacité d’entraînement et d’adhésion de la population », concède l’association.
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Parmi les mesures les plus efficaces pour réduire la consommation d’énergie, on retrouve, en tête, la sempiternelle recommandation gouvernementale de ne pas chauffer son logement à plus de 19 degrés. Et pour cause : à elle seule cette mesure permettrait, si elle était appliquée par 80 % des logements, d’économiser près de 23 500 GWh, soit l’équivalent de la consommation énergétique annuelle de 57 villes de 100 000 habitants !
« Atteindre 10 % de réduction de la consommation d’ici deux ans impliquerait à titre d’exemple, pour le secteur résidentiel, que 30 à 40 % des ménages concernés appliquent cette mesure. Cela permettrait une économie entre 7 000 et 9 500 GWh », détaille négaWatt.
Toujours côté salon, chambres et bureaux, on retrouve également, parmi les mesures les plus efficaces, l’extinction « des appareils en veille et des appareils allumés inutilement ». « Le gisement mobilisable lié à cette mesure est de 11 400 GWh », indique l’association, qui explique avoir appliqué cette mesure « à 80 % seulement des veilles, pour tenir compte des cas où la veille ne peut pas être arrêtée (volets roulants, portes de garage…) ».
En clair, si près de 80 % des appareils en veille dans les foyers étaient éteints, l’équivalent de 570 000 illuminations de Noël sur les Champs-Élysées serait économisé !
Côté cuisine, les pratiques, en apparence anodine, de « cuisson plus sobres » (moins de surgelés, arrêter le four avant la fin de la cuisson, couvrir les poêles et casseroles) permettent tout de même, si appliquées « à 80 % des pratiques de cuisson », d’économiser 2 200 GWh, soit l’équivalent de la consommation annuelle de près de 183 millions d’ampoules économiques.
Les économies d’énergie dans le secteur des transports
Dans le secteur des transports, les économies réalisables à l’échelle nationale grâce aux mesures de sobriété « activables rapidement » sont tout autant considérables, pour ne pas dire colossales.
En France, ce secteur représente en effet 29 % de la consommation d’énergie, soit 445 000 GWh (dont 403 000 GWh de produits pétroliers). C’est donc le deuxième secteur qui consomme le plus en France, talonnant le secteur résidentiel.
« Avec seulement trois premières mesures proposées, il est possible d’économiser 16 000 GWh », indique négaWatt dans son rapport. En clair : avec seulement trois mesures, il est possible d’économiser l’équivalent de la production annuelle de près de trois réacteurs nucléaires standards.
Limiter à 110 km/h la vitesse sur autoroute et 100 km/h sur voie rapide permet par exemple d’économiser 15 000 GWh, soit 1,4 milliard de litres de carburant.
Favoriser le covoiturage grâce au déploiement par les collectivités de lignes dédiées permet en outre d’économiser 30 % de carburant sur les trajets concernés tout en facilitant l’accès à la mobilité au plus grand nombre. Mais pour ce faire, « il faudrait que près de 2 000 lignes de covoiturage soient mises en place », affirme négaWatt.
Et les employeurs ne sont pas en reste. Si ces derniers décidaient de réaffecter leurs salariés sur des sites plus proches de leur domicile ou de les mettre en télétravail, 700 GWh pourraient au total être économisés. C’est l’équivalent de la production moyenne annuelle de deux parcs solaires de Cestas.
Les économies d’énergie dans le secteur tertiaire
À l’instar du secteur résidentiel, pas moins de 30 % des consommations d’énergie du secteur tertiaire pourraient être réduites grâce à de nombreuses mesures de sobriété. De nombreux leviers existent en effet, « notamment sur la ventilation, l’éclairage ou la climatisation ».
Et l’enjeu est de taille puisque, selon négaWatt, l’exemplarité des entreprises et des collectivités est nécessaire pour espérer une adhésion de la population à « l’effort de sobriété ».
Ainsi, l’association recommande en premier lieu d’arrêter la ventilation dans les locaux le permettant pendant les périodes d’inoccupation. Une mesure qui, à elle seule, permettrait d’économiser au total, si tout le secteur s’y mettait, près de 18 000 GWh, soit l’équivalent de la consommation annuelle de 222 millions de fours à micro-ondes.
Quant à la mesure recommandée pour les particuliers de « régler la consigne de chauffage à 19° en occupation », elle permettrait, si appliquée à 80 % des surfaces tertiaires chauffées (en excluant les bâtiments de santé, crèches, hébergement personnes âgées, etc.), d’économiser au total 22 000 GWh, soit l’équivalent de la consommation annuelle de 7 586 palais de l’Élysée (selon une enquête de WE DEMAIN, la consommation d’énergie du Palais représentait en effet 257 kWh par m2 en 2020) !
Mettre en place de grandes campagnes de communication
Une fois ces chiffres égrenés, se pose tout de même la question de la faisabilité de telles pratiques. Les Français sont-ils prêts à mettre en œuvre ces mesures qui ont, selon négaWatt, de réels impacts sur les consommations d’énergie à l’échelle nationale ?
Selon Samuel Martin, membre de la Compagnie des négaWatts et expert bâtiment tertiaire, contacté par Ouest-France, pour l’heure, « à court terme », il existe une « part limitée de personnes prêtes à faire ces modifications de comportement ».
« Un gisement mobilisable n’est pas forcément un gisement qui va spontanément être mobilisé par tout le monde. Tout va dépendre des actions entreprises autour de ces mesures et de ces plans de sobriété », souligne l’expert.
Car « pour entraîner un effet d’adhésion et une dynamique collective », l’État va devoir mettre la main à la pâte. « Orchestrer ces mesures, communiquer, inciter » les Français… Pour Samuel Martin, le rôle de l’État est désormais « central » pour accompagner les citoyens à mettre en place ces mesures de sobriété « qui ont un réel impact à l’échelle nationale ».
« Notre association prône par exemple que l’État mette en place de grandes campagnes de communication pédagogique, voire humoristique, avec des moyens similaires à ceux qui ont été mis pour le Covid afin d’entraîner l’adhésion des Français », explique l’expert.
Des mesures « hautement symboliques »
Et pour cause, si les mesures sur le résidentiel représentent par exemple pas moins de « 750 à 1 200 € d’économie annuelle », d’autres mesures ont malgré tout « un gain plus limité à l’échelle nationale » et peuvent paraître, en conséquence, plus anecdotiques.
Pourtant, ces mesures, à l’instar de « l’arrêt d’une partie des écrans d’affichage numérique dans les bâtiments tertiaires » (dont le gain mobilisable est de « seulement » 50 GWh), ont une « valeur hautement symbolique », argue Samuel Martin.
« Nous insistons pour dire qu’il serait dangereux de se cantonner aux cinq mesures qui ont le plus d’impact, puisque toutes les “petites” mesures à gain énergétique limité ont une valeur hautement symbolique. Elles peuvent permettre en effet l’adhésion et la mobilisation de l’ensemble des acteurs. »
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Par exemple, si en allant au travail, un salarié « voit les panneaux publicitaires éteints », s’il voit « les ordinateurs inutilisés éteints au sein de son entreprise, avec une note explicative », ou si « un référent sobriété est nommé au sein de cette même entreprise », alors cela « va donner beaucoup plus envie à chacun de mettre en œuvre certaines mesures chez soi ».
Et en « mettant bout à bout tous les petits gestes que chacun peut faire chez soi, le gain cumulé finit par être considérable », rappelle Samuel Martin.
Si une seule personne arrête sa box internet, « le gain est effectivement minime. Mais comme il y a près de trente millions de logements qui en sont équipés, un tel geste a un véritable intérêt à l’échelle nationale. »
Mais pour arriver à de tels résultats, « il va falloir que tout le monde se sente concerné ». « Tout va donc dépendre de la dynamique collective qui va être créée. »
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