lundi 4 septembre 2023

Biodiversité, santé, économie… Un rapport se penche sur le coût astronomique des espèces envahissantes - 20 Minutes

Un bateau tentent de se frayer un passage à travers des jacinthes d'eau, une plante tropicale venue d'Amérique du Sud et qui envahie à vitesse grand V des étendues d'eau notamment sur lac Victoria, causant de forts dommages sur l'environnement. — @Ipbes
  • 86 experts de 49 pays, quatre ans de travail et 13.000 références passées au crible… L’IPBES, l’équivalent du Giec sur les enjeux biodiversité, publie ce lundi un rapport majeur sur les espèces exotiques.
  • Plus de 37.000 espèces, animales comme végétales, entrent dans cette catégorie, dont plus de 3.500 ont été documentés comme ayant des impacts lourds sur la nature et l’homme.
  • Disparition d’espèces, propagation de maladies, dégradation des moyens de subsistances de populations… La facture est lourde : de l’ordre de 423 milliards de dollars chaque année, quatre fois plus qu’en 1970. Et elle devrait continuer à augmenter.

Le moustique-tigre, qui a encore cassé les pieds en France cet été, n’est qu’un exemple. Des espèces exotiques envahissantes (EEE), introduites volontairement ou non par les activités humaines, dans des régions qui n’étaient pas les leurs, il y en a des milliers d’autres. Plus de 37.000, évalue la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) dans un rapport majeur publié ce lundi. Des animaux aux végétaux, en passant par les microbes.

L’IPBES est à voir comme l’équivalent du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) mais sur la biodiversité, dont l’érosion est l’autre grande crise environnementale en cours. Comme son aîné, il a pour mission de fournir aux décideurs des évaluations sur l’état des connaissances sur ces enjeux.

Des introductions à un rythme sans précédent

En 2019 déjà, dans son rapport d’évaluation mondiale, l’Ipbes faisait des EEE l’un des cinq principaux facteurs directs de perte de biodiversité, aux côtés des changements dans l’utilisation des terres et des mers, de l’exploitation directe des espèces, du changement climatique et de la pollution. Dans la foulée, les 143 Etats membres de l’IPBES lui ont demandé de creuser cette menace des invasions biologiques dans un rapport dédié. Celui de ce lundi donc, rédigé par 86 experts de 49 pays qui ont travaillé dessus pendant plus de quatre ans et demi et se sont appuyés sur plus de 13.000 références.

Premier message clé : ces introductions d’espaces exotiques par l’homme se font aujourd’hui à un rythme sans précédent, de 200 nouvelles recensées chaque année. Ceci dans toutes les régions et biomes du monde (même l’Antarctique). Plus de 37.000 au total est d’ailleurs une estimation prudente, indiquent les auteurs, car toutes ne deviennent pas envahissantes, insistent-ils. Ne sont considérées comme telles que celles dont on sait qu’elles se sont établies et propagées et qui ont des effets négatifs sur la nature et souvent aussi sur les personnes, précise l’Ipbes. Tout de même, des études permettent de classer plus de 3.500 EEE comme « nuisibles ». Dans le lot, 1.061 plantes (6 % de toutes les espèces végétales exotiques), 1.852 invertébrés (22 %), 461 vertébrés (14 %) et 141 microbes (11 %).

La nature en première ligne

La jacinthe d’eau est la plus répandue. Originaire du bassin amazonien, elle est considérée comme invasive dans 74 régions dans le monde. La lantana Camara, autre plante exotique originaire d’Amérique du Sud, et le rat noir, originaire d’Asie tropicale, complètent le podium.

La première touchée par ces invasions biologiques est la nature elle-même. Ces nuisibles s’attaquent aux espèces, les concurrencent pour l’accès aux ressources alimentaires, et vont parfois jusqu’à modifier les écosystèmes où ils se répandent en transformant les habitats. La jacinthe d’eau en est un parfait exemple : elle recouvre à vitesse grand V des étendues d’eau, formant ainsi un dense tapis qui étouffe les espèces natives, bloque la lumière aux strates inférieures, eutrophise le milieu… L’IPBES cite aussi la Perche du Nil, un poisson d’eau douce originaire d’Éthiopie et introduit par l’homme dans les eaux du lac Victoria, où il a causé la disparition de centaines d’espèces indigènes. On pourrait également parler de la moule zébrée, qui se répand en s’accrochant aux coques des navires, de l’escargot géant africain ou du python birman qui envahissent la Floride (mais pas que), du renard roux qui pose bien des soucis en Australie…

La liste est longue et le bilan est lourd. Les EEE « ont été un facteur majeur dans 60 % et le seul facteur dans 16 % des extinctions mondiales d’animaux et de plantes que nous avons enregistrées, indique ainsi le professeur chilien Anibal Pauchard, l’un des trois co-présidents de ce rapport. Et au moins 218 espèces exotiques envahissantes ont été responsables de plus de 1.200 extinctions locales. » Le rapport signale d’autres impacts, tels que « l’homogénéisation biotique, par laquelle les communautés biologiques du monde entier deviennent plus similaires », ou les changements de propriétés des sols et des eaux.

Un coût de 423 milliards de dollars par an…

Mais la biodiversité n’est pas la seule victime. Les EEE affectent aussi les services que rend la nature aux hommes et dégradent les conditions de vie de populations, insiste le rapport. Les personnes qui dépendent le plus directement de la nature, comme les peuples autochtones et les communautés locales, sont les plus touchées. « Plus de 2.300 espèces exotiques envahissantes sont présentes sur les terres gérées par les peuples autochtones ».

On a forcément en tête les impacts sur la santé. Les maladies comme le paludisme, le Zika et la fièvre du Nil occidental sont par exemple propagées par des espèces de moustiques exotiques envahissantes telles que l’Aedes albopictus (moustique tigre) et l’Aedes aegyptii. Mais les EEE nuisent aussi bien souvent aux moyens de subsistance et plombent les économies locales. Là encore, la jacinthe d’eau est un bon exemple, elle qui a fait décliner la pêche dans le lac Victoria, en entraînant l’épuisement des tilapias, poissons très consommés localement. Et ça coûte très cher. « En 2019, les coûts annuels mondiaux des invasions biologiques étaient estimés à plus de 423 milliards de dollars ». Seulement 8 % de cette somme est utilisée pour endiguer ces invasions, les 92 % allant à la réparation des dégâts.

… Et bien plus encore en 2050 ?

Plus que le montant brut, c’est son évolution ces 50 dernières années que met en avant l’Ipbes. Les coûts ont au moins quadruplé chaque décennie depuis 1970. Un tiers (37 %) des 37.000 espèces exotiques connues aujourd’hui ont été signalées depuis cette date également, un autre signe que cette menace prend de l’ampleur. L’accélération de l’économie mondiale, l’intensification et l’élargissement des changements dans l’utilisation des terres et des mers, les changements démographiques, sans oublier le changement climatique ne laissent guère de doute aux auteurs du rapport. « Même sans l’introduction de nouvelles espèces envahissantes, celles déjà établies continueront à étendre leur aire de répartition et à se répandre dans de nouveaux pays et de nouvelles régions », estime la Britannique Helen Roy, également coprésidente du rapport. Avec la poursuite des tendances actuelles, le nombre total d’espèces exotiques à l’échelle mondiale devrait être 36 % plus élevé qu’en 2005.

C’est ce scénario du statu quo que l’Ipbes pousse les Etats à éviter à tout prix. Il y a encore du chemin à faire. « La grave menace mondiale que représentent les espèces exotiques envahissantes est sous-appréciée, sous-estimée et souvent méconnue », déplore ses experts, chiffre à l’appui. « Si 80 % des pays ont des cibles liées à la gestion des EEE dans leurs plans nationaux pour la biodiversité, seuls 17 % disposent de lois ou de réglementations nationales traitant spécifiquement de ces questions », pointe le rapport, qui constate que 45 % des pays n’investissent pas dans la gestion des invasions biologiques. La bonne nouvelle, c’est que les solutions existent pour endiguer ces invasions. Il n’y a même guère de doute sur la meilleure d’entre elles, pointe Anibal Pauchard : la prévention.

Quelles solutions contre les espèces exotiques invasives ?

L’Ipbes conclut tout de même son rapport sur une note positive tout de même : « Pour presque tous les contextes et toutes les situations, il existe des outils de gestion, des options de gouvernance et des actions ciblées qui fonctionnent réellement », indique Anibal Pauchard. « La prévention est absolument la meilleure option, la plus rentable », poursuit-il. Des mesures de prévention – telles que la biosécurité aux frontières et l’application stricte des contrôles à l’importation – sont identifiées par le rapport comme ayant fonctionné dans de nombreux cas, précise le rapport. Les auteurs prennent l’exemple des succès obtenus en Australie en utilisant ces outils pour réduire la propagation de la punaise diabolique, menace forte pour l’agriculture locale.

Mais lorsque la prévention échoue ou n’est pas possible (plus facile à faire sur une île), la préparation, la détection précoce et la réponse rapide à ces invasions biologiques, valent le coup.  « L’éradication, le confinement et le contrôle sont également efficaces dans des contextes spécifiques, détaille Anibal Pauchard. La restauration des écosystèmes peut également améliorer les résultats des mesures de gestion et accroître la résistance des écosystèmes aux futures espèces exotiques envahissantes. »

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