La laïcité n'a jamais eu pour objectif de contraindre le président de la République à une stricte neutralité religieuse.
«La présence d'Emmanuel Macron à la messe présidée par François à Marseille n'a sans doute en soi rien de choquant, n'en déplaise aux tenants d'une laïcité pure et dure.» Ces mots, qui sont ceux d'Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef du journal catholique La Croix, contrastent nettement avec ceux du paysage politique français.
En effet, après l'annonce de la présence du président de la République Emmanuel Macron à la messe du pape François qui se tiendra au stade Vélodrome le samedi 23 septembre, les réactions politiques n'ont pas manqué de souligner un acte contraire aux principes de laïcité. Pourtant, rien n'interdit au président de la République d'assister à un office religieux: la laïcité n'a pas pour but de contraindre notre représentation élue à une stricte neutralité religieuse.
Tollé dans les rangs de la gauche. Pour La France insoumise, le député de la Seine-Saint-Denis Alexis Corbière s'est fendu d'un communiqué dans lequel il souligne que «la présence d'Emmanuel Macron […] est contraire à la séparation des Églises et de l'État, instituée par la loi de 1905». De son côté, Jean-Luc Mélenchon assène dans un tweet au vitriol que «l'État laïque ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte. Pas de cérémonie religieuse pour un élu en France», rappelant ainsi l'article 2 de la loi de 1905, pierre angulaire du principe de laïcité.
Non monsieur le président. Ce n'est pas votre place d'aller à la messe du pape. Lui souhaiter la bienvenue à l'arrivée et même à son départ: oui, bien sûr. Mais l'État laïque ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte. Pas de cérémonie religieuse pour un élu en France. C'est…
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) September 15, 2023
Ne pas «reconnaître» les cultes, cela revient-il à les ignorer, à ne pas admettre leur existence? Le sens du verbe «reconnaître» est sans doute celui qui a le plus agité les débats, à commencer par ceux qui ont abouti à ladite loi de 1905. Remplaçant le terme «protège», le terme «reconnaît» a provoqué l'ire de nombreux parlementaires, qui ont souligné tant les risques de mésinterprétation que la contradiction que cet usage soulève: comment garantir la liberté de culte (abordée dans l'article 1) tout en ne les reconnaissant pas?
Le personnel politique n'a jamais vraiment connu l'obligation de neutralité religieuse.
La réponse est apportée par Jean-Baptiste Bienvenu-Martin, ministre de l'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes, lors de la séance du 12 avril 1905:
«Qu'est-ce donc que reconnaître un culte, si ce n'est lui donner une consécration officielle, faire intervenir l'État dans son organisation? Actuellement il existe des cultes reconnus: voyez nos lois administratives […] vous y retrouverez fréquemment l'expression de “cultes reconnus”. Nous estimons qu'il serait contradictoire avec l'idée même de la séparation de reconnaître un culte. Aujourd'hui il y a des cultes reconnus: le jour où la séparation est prononcée, il ne doit plus y en avoir. Voilà ce que nous avons voulu dire en proposant cette formule.»
En conséquence, l'objectif du législateur n'était pas de plonger la République française dans un état d'ignorance, la contraignant à faire comme si les cultes n'existaient pas, mais à les mettre sur un pied d'égalité: là où, auparavant, les cultes catholique, protestant réformé, luthérien et israélite étaient les seuls reconnus (et organisés par l'État), cohabitent aujourd'hui une multitude d'autres cultes (catholique orthodoxe, musulman, bouddhiste, etc.).
En outre, l'interprétation fournie par Bienvenu-Martin apparaît comme cohérente avec l'idée selon laquelle «la République ne protège aucun culte»: en choisissant d'affirmer qu'elle ne «reconnaît» aucun culte, le législateur a fait le choix d'insister sur la fin de cette «consécration officielle», qui apportait une forme de protection par rapport à des religions qui n'auraient pas joui de la même reconnaissance. L'exemple montre par ailleurs que le personnel politique n'a jamais vraiment connu l'obligation de neutralité religieuse.
Des croyants comme les autres
S'il existe un exemple frappant dans l'histoire contemporaine française, c'est bien celui de l'abbé Pierre: député de Meurthe-et-Moselle de 1945 à 1951, Henri Grouès se plaisait à siéger en soutane. De même, nombre de partis politiques se sont réclamés de leur foi: Parti chrétien-social, Droite libérale-chrétienne, Fédération nationale catholique ou encore Parti chrétien-démocrate démontrent l'existence conjointe de la politique et de la religion.
Il eût été en effet quelque peu contradictoire d'admettre l'existence du PCD (devenu Via en 2020) mais de demander à Christine Boutin de s'astreindre à une stricte neutralité religieuse en cas de victoire à la présidentielle –elle fut candidate à l'élection de 2002 sous l'étiquette du Forum des républicains sociaux.
La chambre des députés de 1905 avait bien en tête l'exemple américain lors de ses débats.
Qu'il s'agisse d'une présence officielle ou personnelle –si tant est que la présence à l'église d'un président de la République puisse être pleinement personnelle, sa fonction exigeant le concours permanent des services de la présidence, à commencer par celle du GSPR–, assister à un office ne saurait être vu comme ni comme une reconnaissance, ni comme une forme de protection à l'égard d'un culte.
Sur X (ex-Twitter), Sacha Sydoryk, maître de conférences en droit public, affirme que «c'est grâce à la laïcité que la personne qui est président peut assister à une messe». Pour l'universitaire, la laïcité «empêche aussi l'État de privilégier juridiquement une confession par rapport aux autres».
Fasciné par la polémique sur E. Macron et la messe. On peut critiquer le message politique renvoyé. Mais dire que c'est contraire au principe de laïcité est une absurdité philosophique et juridique.
— Dr S. Sydoryk (@Dr_S_Sydoryk) September 14, 2023
Emmanuel Macron, catholique, peut-il ainsi se rendre à une messe en toute quiétude, à l'instar de son homologue Joe Biden? Si les différences entre la laïcité française et le sécularisme états-unien sont nombreuses, la chambre des députés de 1905 avait bien en tête l'exemple américain lors de ses débats.
La Constitution américaine comme modèle?
Il serait périlleux de voir dans notre loi de 1905 un héritage du 1er amendement de la Constitution des États-Unis, adopté en 1791. Le vénérable texte séculaire, qui protège plusieurs libertés –dont la liberté de culte– et interdit l'«établissement» d'une religion, avait pourtant les faveurs de certains parlementaires français du début du XXe siècle.
C'était le cas de Jean Plichon, député du Nord, qui, le 28 mars 1905, déclara dans l'hémicycle «comprend[re] la séparation comme aux États-Unis, où le pacte constitutionnel interdit non seulement au Congrès, mais encore à chacun des États de s'occuper des questions religieuses». Une semaine plus tard, c'était au tour d'Eugène Réveillaud, député de la Charente-Maritime, de rendre un hommage vibrant à l'exemple américain:
«Voilà, formulé par cet acte de foi en la liberté, en la puissance de la vérité contre tous ses adversaires, le principe fécond des temps nouveaux, l'idée normale qui doit régler désormais les rapports de l'État, des consciences et des Églises. C'est cette norme, c'est ce principe que nous consacrerons dans cette législature en votant cette grande loi, la plus grande qui ait été délibérée et votée depuis un siècle, cette loi de la séparation du temporel et du spirituel, de l'indépendance réciproque de l'État et de l'Église.»
«Nous retrouvons cette doctrine, s'affirmant, après des tâtonnements qui durèrent deux siècles, dans la législation des États-Unis d'Amérique, poursuivait-il. Ils finirent par comprendre que la pleine liberté devait être le régime des États modernes, et vous le savez, messieurs, à partir de 1789 la Constitution des États-Unis a supprimé les dernières traces de la prédominance de certains cultes exclusifs, et a décidé que “le congrès des États-Unis ne pouvait faire aucune loi pour établir une religion ou en interdire le libre exercice”.»
Rien ne semble faire obstacle à ce qu'un président de la République assiste à un office religieux.
Cependant, l'exemple le plus frappant est peut-être celui du député du Rhône, Francis de Pressensé. Le socialiste, alors président de la Ligue des droits de l'homme, dont la proposition de loi déposée en 1903 servira de matrice à la loi de 1905 («la République ne protège, ne salarie et ne subventionne aucun culte», c'est lui) affirmera lors des débats du 25 mai 1905 avoir emprunté aux États-Unis son amendement relatif aux règles générales d'organisation des Églises.
En conclusion, si les sempiternelles polémiques sur le voile, le burkini ou l'abaya traduisent un «deux poids, deux mesures» particulièrement préjudiciable à une lecture claire de ce que revêt le principe de laïcité, rien ne semble faire obstacle à ce qu'un président de la République assiste à un office religieux. Nombre de personnalités politiques aiment à dire qu'elle veulent «toute la loi de 1905, rien que la loi de 1905»: dont acte.
Par ailleurs, sur la question de l'habit religieux, Aristide Briand avait rétorqué à Charles Chabert que «la soutane une fois supprimée, M. Chabert peut être sûr que, si l'Église devait y trouver son intérêt, l'ingéniosité combinée des prêtres et des tailleurs aurait tôt fait de créer un vêtement nouveau. Qui ne serait plus la soutane, mais se différencierait encore assez du veston et de la redingote pour permettre au passant de distinguer au premier coup d'œil un prêtre de tout autre citoyen.»
Là, où, en France, l'on aime évoquer «l'esprit» d'une loi, préférons-lui la lettre. L'esprit, disait Cesare Beccaria, est «une brèche ouverte au torrent des opinions». Il est temps de revenir au sens originel.
from France - Dernières infos - Google Actualités https://ift.tt/csJ7pMB
via IFTTT
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire