dimanche 21 janvier 2024

Attentats de Trèbes en 2018 : une otage témoigne, « l'arme du terroriste tremblait sur ma tête » - Sud Ouest

Lorsque le terroriste fait de vous une otage, votre réflexe de survie sera d’abord celui de la soumission.

Quand [Radouane] Lakdim me découvre cachée sous un bureau, je l’entends dire « ben voilà mon otage, viens on appelle les flics ». Je le prends d’abord pour un petit con, paumé, nerveux. Jusqu’à ce que je comprenne qu’il s’agit d’un terroriste entraîné à tuer, et qu’il vient de le faire. Je baisse alors volontairement la tête, en ne regardant plus que le sol dans un premier temps. Ne pas paniquer, rester lucide au point d’éviter l’éventuelle...

Lorsque le terroriste fait de vous une otage, votre réflexe de survie sera d’abord celui de la soumission.

Quand [Radouane] Lakdim me découvre cachée sous un bureau, je l’entends dire « ben voilà mon otage, viens on appelle les flics ». Je le prends d’abord pour un petit con, paumé, nerveux. Jusqu’à ce que je comprenne qu’il s’agit d’un terroriste entraîné à tuer, et qu’il vient de le faire. Je baisse alors volontairement la tête, en ne regardant plus que le sol dans un premier temps. Ne pas paniquer, rester lucide au point d’éviter l’éventuelle ligne de mire d’un tireur d’élite. Ce huis clos durera une quarantaine de minutes au cours desquelles il me répète qu’il ne veut pas me faire de mal, juste mourir en martyr. Mais c’est plus vicieux que cela, il se sert de moi comme d’un bouclier, et s’en fout que je prenne une balle perdue.

Lorsqu’une première colonne de forces de l’ordre investit le magasin, pensez-vous d’ailleurs que votre heure est venue ?

Quand ces cinq hommes mettent Lakdim en joue, il pose le canon de son arme sur mon crâne et glisse un couteau au niveau de mes côtes. Il se met à trembler, son pistolet se met à trembler. Je sens que la balle va partir toute seule. Je pèse mes mots pour lui dire de ne pas me tuer sans faire exprès. Et soudain surgit ce gendarme qui, d’une voix claire et autoritaire, crie sur ses collègues « vos gueules, reculez, je prends ! », puis demande au terroriste de « relâcher la petite dame » tout en se désarmant.

Le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame est décédé le 24 mars 2018 des suites de ses blessures subies la veille, lors de l’attentat du Super U de Trèbes.
Le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame est décédé le 24 mars 2018 des suites de ses blessures subies la veille, lors de l’attentat du Super U de Trèbes.

Archives AFP PHOTO/« LA GAZETTE DE LA MANCHE »

« C’est dérisoire, mais aujourd’hui encore, je sors avec un canif dans la poche »
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Certains, notamment au sein de son institution, ont murmuré qu’en se sacrifiant ainsi, le colonel Beltrame avait été aussi insubordonné qu’imprudent.

Mais il ne s’est pas sacrifié, il a pris le risque de le faire, comme les vrais militaires ont ça bien ancrés en eux. Vu la tournure des évènements et le niveau de tension, c’était d’ailleurs la seule façon de me sauver la vie. Certains auront en effet des mots très durs, même auprès de moi, pour qualifier son choix. Mais j’insiste sur le fait que la manière dont il est entré en négociations avec le terroriste était extrêmement professionnelle, et je reste persuadée qu’il pensait s’en sortir vivant.

Le jour de sa mort [le lendemain de l’attentat, NDLR], vous demandez à voir sa dépouille, tout en craignant de croiser ses proches.

Encore une fois, et au risque de choquer, je ne me suis jamais sentie coupable du risque qu’il a pris pour moi. Contrairement à ce que l’on a pu me faire dire, alors que je n’avais jamais pris la parole publiquement avant aujourd’hui (2). C’est mon père, médecin généraliste habitué à gérer des situations compliquées, qui m’a suggéré d’aller le voir sur son lit de mort. La meilleure idée qui soit. Douloureuse, mais comme le premier des nombreux hommages que j’allais lui rendre. Et pour moi, le début d’une forme de deuil.

Sa veuve finira par vous écrire. De belles choses, alors que vous redoutiez d’être à ses yeux la personne la plus détestable au monde ?

Dans sa lettre, Marielle m’a dit avec beaucoup de délicatesse que son mari n’avait fait que son devoir, conformément à ses valeurs. C’est très beau, et d’autant plus fort venu de sa part, alors même que je mettrai plusieurs mois à lui répondre. Mais j’ai fini par me faire un devoir de la rencontrer pour lui dire à quel point j’avais du respect pour son mari. Et surtout lui décrire son grand professionnalisme lors de son intervention.

Votre témoignage est un hommage, mais aussi un cri de colère. Contre certains avocats, la prise en charge des victimes, mais d’abord, contre les journalistes…

Les chaînes d’info, notamment, ne m’ont rien épargnée. Harcelant tout un village, faisant le siège de mon domicile au point que j’ai dû le quitter. Me cacher. Et finalement, sombrer peu à peu, pour des années. Je comprends que les journalistes et le public soient avides de ce genre de témoignages, mais les victimes en état de sidération ne sont pas toujours prêtes à être dignes, à trouver les bons mots.

Aujourd’hui, à 45 ans, et après une lente reconstruction, vous dîtes vous méfier encore « furieusement de tout le monde ». Ne serez-vous donc jamais en paix ?

Autant sur le coup, j’ai assuré, autant la peur m’a envahie petit à petit. Tous les matins, il me faut vaincre mes phobies pour emmener ma fille à l’école. Ne pas paniquer lorsque mon mari a cinq minutes de retard. Chaque déplacement dans l’espace public me fait imaginer le pire. Au point que je m’y prépare comme on va au combat. Chaussures de sport pour courir plus vite, canif dans la poche… C’est dérisoire, mais c’est ma stratégie de défense. Alors j’espère que le procès qui s’ouvre aujourd’hui [lundi 22 janvier, NDLR] permettra enfin à mon cerveau de me laisser tranquille.

(1) Julie Grand est un pseudonyme. (2) « Sa vie pour la mienne », Julie Grand, Éd. Artège, 16,90 €, 180 p., est sorti le 10 janvier 2024.

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